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Vespera Regine Mazion

26 avril 2010

Berlin : Plus de vie privée au pays des postes privées

Chronique d'une Parisienne à Berlin :

Plus de vie privée au pays des postes privées !

Contre la privatisation de la poste française, mon expérience berlinoise

Parisienne, j'ai emménagé récemment à Berlin pour raison professionnelle. Trop occupée à travailler pour faire les boutiques, j'ai aménagé mon vaste appartement berlinois en commandant tout, absolument tout, sur Internet, donc par la poste. Depuis le matelas d'1,80 m x 2 m dédié à mes nuits teutoniques jusqu'à l'humble tasse de porcelaine encore vouée à l'expresso tonique plutôt qu'au café toujours au lait ici. Je dis "la poste" mais en réalité ce sont "les postes" puisque la "Deutsche Post" s'est ouverte à la concurrence depuis 1998. Le résultat : pour les colis un défilé continu de facteurs de 8 heures à 18 heures. Principalement : DHL (filiale de la Deutsche Post), Iloxx, GLS, Hermes.

Une liaison cachée ? Déguisez-la en livraison ! Surtout n'annoncez pas : "C'est le plombier !", c'est horriblement démodé.   Criez : "C'est le facteur !"  et l'on vous croira. Il y en a tant ! Plus d'uniforme imposé, n'importe quel cambrioleur peut aisément se faire passer pour le facteur. L'on ne peut plus juger que sur la mine épuisée du préposé. Car il y en a des marches à monter dans ces vieilles demeures berlinoises ! Les cambrioleurs, eux, ont ordinairement la sagesse de préférer les rez-de-chaussées. Seul le facteur officiel de la Deutsche Post fait encore rêver les gosses avec sa camionnette couleur de soleil ornée du noir et magique cor de chasse transformant instantanément ce paisible fonctionnaire en aventurier des proches forêts.

DES FACTEURS CONTRAINTS A LA MENDICITE

Pourtant nulle chance de voir poindre ici la bobine épanouie d'un Besancenot certainement meilleur au lit que dans l'urne. Le facteur berlinois est isolé et cela se sent. Il a peu de collègues, il a surtout des concurrents. Faudra-t-il le former à la  mendicité ? En votre absence, il sonne systématiquement à toutes les portes de votre immeuble et aussi à celles des maisons voisines et même des boutiques situées sur le trottoir d'en face jusqu'à ce qu'une âme charitable accepte de le délester d'un colis encombrant. Faut-il imputer l'ampleur de ce harcèlement à l'exiguité des locaux de stockage ? En Allemagne une bonne moitié des prestigieux Hôtels des Postes datant des siècles passés ont fermé, vendus à des particuliers ou transformés en bureaux à louer. Désormais la Deutsche Post  garde les envois recommandés durant six jours seulement. L'on va chercher son courrier chez le boulanger, le fleuriste ou encore au supermarché. Trop heureux si le messager vous a laissé un avis. Car le plus souvent, éconduit à tous les étages, dépité, il s'en va sans un mot et c'est à vous de repayer les frais d'envoi !

J'ai un dada : les chevaux. En tout genre mais surtout les beaux et grands chevaux de bois promenant de manèges très anciens. Je m'en fis livrer trois. Le premier fut lâchement abandonné devant la porte de mon immeuble par l'envoyé d'Iloxx protestant que le règlement ne l'obligeait pas à porter le colis au delà du premier seuil. Heureusement le canasson était si lourd que personne n'eut la force de le voler.

PAR ICI FACTEUR CHEVAL !

Le second fut livré par un préposé si habile auprès des femmes que la revêche voisine du premier accepta d'abord d'héberger l'énorme paquet parmi ses fragiles porcelaines Rosenthal...pour s'en mordre bientôt cruellement les doigts durant mes six jours d'absence. Quant au troisième, une patte lui manquait. "Normal", avait rétorqué l'antiquaire, "C'est un vétéran, il a fait Waterloo !" Il n'en fallut pas plus à mes voisins pour se sentir redevenir prussiens. Blotti sous un épais rempart de papier bulles, le valeureux invalide -qui était passé avec moins états d'âme encore qu'Eric Besson dans l'autre camp- dut subir le gloussement déçu d'une dame qui avait cru que le présent lui était destiné, l'exclamation inquiète d'un vieux troupier flairant quelque cheval de Troie, et même le juron indigné d'une ménagère que la sonnerie intempestive du préposé avait conduit à lâcher à terre son strudel aux pommes. Autant de vexations qui le laissèrent heureusement de bois. Mais moi, honnie par tout le voisinage, je n'ai même plus de vie privée. Après l'exhibition du matelas de palier en palier, j'imagine déjà les sourires narquois lorsque débarquera ici l'amour de ma vie...

NE DEMOLISSEZ PAS LA POSTE, VISITEZ-LA !

Françaises, Français, Mes Chers Compatriotes, je vous en conjure du fond de mon exil doré où quelques larmes de nostalgie se mêlent parfois en secret au murmure de la Spree : surtout ne démolissez pas la Poste française, visitez-la !

A l'hôtel des postes de Chartres  édifié dans les années vingt (aujourd'hui médiathèque) admirez les magnifiques encorbellements de Brandon. A l'hôtel des postes d'Argenteuil construit en 1909 par Batton, laissez-vous égayer par la jolie polychromie de la facade. A l'hôtel des postes de Saumur découvrez les sculptures pacifiquement dédiées en 1914 par Legendre aux cinq continents. Ou bien déambulez à votre aise dans les 28.000 m2 de la poste du Louvre de Paris achevée en 1886 par Guadet !

Voyez de quels palais la République vous fit propríétaires !

Vous retiriez plis et colis sous les marbres et les ors...et vous accepteriez qu'au fond d'une arrière-boutique l'on vous désigne désormais un coin-courrier comme on assigne au chien un coin pour pisser  Et il faudrait appeler cela "moderniser la poste " ! Franchement j'aurais préféré que l'on retournât ici au temps des Thurn und Taxis. Car, à l'avant de la diligence postale, il y avait au moins de beaux chevaux !

Régine MAZION

 

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